Dans une indifférence médiatique frappante, la Cour d’appel de Port-au-Prince a été officiellement relocalisée à Puits Blain, dans la commune de Delmas. Ce déménagement, décidé après l’attaque violente du Palais de justice par des gangs lourdement armés, illustre le repli progressif d’une justice contrainte de fuir la terreur. L’événement, pourtant lourd de sens pour l’avenir institutionnel du pays, s’est tenu à huis clos, loin des regards du public et sans couverture médiatique.
« Malgré notre présence sur place, nous avons été empêchés de couvrir la cérémonie inaugurale », a dénoncé le journaliste Pierre B. Nicolson Delva (Radio Télé Ginen), soulignant un déficit criant de transparence.
Ce transfert marque la deuxième fois en moins de trois ans que la Cour d’appel est déplacée. En juin 2022, le gang « 5 Segonn », dirigé par « Izo », avait orchestré une attaque spectaculaire contre le Palais de justice situé sur le boulevard Harry Truman. Depuis, l’institution avait tenté de poursuivre ses activités dans le quartier de Pacot, avant de devoir fuir à nouveau, cette fois vers Puits Blain. Un exil judiciaire qui s’ajoute à une série de reculs institutionnels sans précédent dans l’histoire contemporaine du pays.
Une capitale désertée par ses institutions
La Cour d’appel n’est pas la seule à abandonner le centre-ville. Le ministère du Commerce et de l’Industrie, l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), la Caisse d’Assistance Sociale, ainsi que les membres du conseil présidentiel de transition, ont tous quitté les abords du Palais national pour s’installer à la Villa d’Accueil, jugée plus sécurisée.
Cette migration administrative illustre un constat alarmant : l’État haïtien cède du terrain face à des groupes armés qui imposent leur loi. La capitale, jadis centre du pouvoir, se vide peu à peu de ses institutions, révélant une perte d’autorité et de contrôle inédite.
« Quand la justice elle-même est contrainte à l’exil, c’est tout l’édifice démocratique qui vacille », alerte un juriste contacté sous anonymat.
Une presse aussi sous attaque
L’insécurité ne frappe pas que l’appareil étatique. Des médias comme Radio Télé Caraïbe et Radio Mélodie ont vu leurs locaux attaqués, vandalisés, voire partiellement détruits. Ces agressions systématiques contre les journalistes entravent la liberté d’informer, aggravant la désinformation dans un pays déjà pris dans l’étau de la peur.
Une population laissée pour compte
Face à l’effondrement progressif de l’appareil judiciaire et à la fuite des institutions, la population haïtienne se retrouve seule, exposée et sans recours. Ce sont bien plus que des bâtiments que l’on abandonne : c’est la confiance dans la République, dans l’État de droit, et dans la possibilité d’un avenir sécurisé qui s’érode jour après jour.