L’image d’une Église complice d’un trafic d’armes sophistiqué avait secoué Haïti en 2022. Blanchis l’an dernier, les prêtres Frantz Cole et Fritz Désiré sont à nouveau sous les projecteurs judiciaires. La Cour d’appel a décidé ce 2 juin de rouvrir ce dossier sensible. L’instruction reprend. Les zones d’ombre persistent.
Une découverte qui fait l’effet d’une bombe
Le 14 juillet 2022, les forces conjointes du Bureau de Lutte contre le Trafic de Stupéfiants (BLTS) et des douanes mettent la main sur un container suspect, entreposé au terminal de Caribbean Port Services. Le container, arrivé sous le couvert d’une franchise religieuse accordée à l’Église épiscopale d’Haïti, était censé contenir des dons humanitaires.
Mais la réalité est tout autre : 18 fusils d’assaut, un fusil calibre 12, quatre pistolets 9 mm, 15 000 cartouches, plus de 100 chargeurs, un viseur, 50 000 dollars en faux billets. L’Église, ou du moins certains de ses responsables, aurait-elle servi de couverture à un trafic international d’armes ?
Des arrestations dans les rangs religieux
Très vite, l’enquête s’oriente vers des figures de l’institution religieuse. Le 17 août 2022, le père Frantz Cole, alors secrétaire exécutif diocésain, est arrêté. Quelques mois plus tard, en mai 2023, c’est au tour du révérend Fritz Désiré d’être placé en garde à vue. Tous deux sont auditionnés par le juge instructeur Marthel Jean Claude. L’affaire devient explosive : jamais dans l’histoire récente un tel scandale n’avait éclaboussé une Église d’une telle envergure.
L’ordonnance qui apaise… provisoirement
Mais le 29 septembre 2023, rebondissement : le juge rend une ordonnance de non-lieu pour les principaux religieux impliqués, estimant que le lien entre les faits et la hiérarchie de l’Église n’est pas établi. Selon lui, un réseau de trafiquants aurait simplement exploité la franchise ecclésiastique à des fins criminelles.
L’Église, soulagée, sort temporairement blanchie de ce scandale. Frantz Cole, Fritz Désiré et Jean Mardoché Vil sont libérés. L’opinion publique, elle, reste sceptique.
Coup de théâtre judiciaire : l’affaire relancée
Ce lundi 2 juin 2025, tout bascule à nouveau. La Cour d’appel de Port-au-Prince casse l’ordonnance de 2023, dénonçant des « failles majeures » dans l’enquête initiale, des « carences » dans la recherche de preuves, et l’« insuffisance » des conclusions du premier juge. Elle nomme un nouveau juge d’instruction : Noé Masillon Pierre.
Les deux prêtres et les autres personnes inculpées sont à nouveau placés en détention préventive, dans l’attente des résultats de cette nouvelle instruction.
Une affaire à forte charge symbolique
Au-delà de la question judiciaire, ce dossier interroge profondément sur la porosité entre les institutions religieuses, les privilèges administratifs et les réseaux criminels. L’utilisation d’une franchise accordée à une Église pour faire entrer des armes dans un pays en proie à l’insécurité la plus extrême fait froid dans le dos.
Si les responsabilités sont avérées, c’est la crédibilité morale et institutionnelle de l’Église épiscopale d’Haïti qui sera définitivement entachée. Si, au contraire, les prêtres ont été piégés, il faudra se demander pourquoi une Église aussi puissante n’a pas été capable de contrôler l’usage de ses privilèges logistiques.
Ce rebondissement montre que la justice haïtienne, parfois accusée de lenteur ou de partialité, peut aussi surprendre. Le juge Noé Masillon Pierre a désormais la lourde tâche de reprendre un dossier sensible, où chaque mot, chaque omission, peut avoir des conséquences politiques, morales et sociales majeures.
La vérité, dans cette affaire, n’est pas un luxe. C’est une urgence nationale.